Pansement d'escarre, pansement de coeur
A force de plancher sur la psychologie des patients, sur l'attention qu'il faut leur porter, mon travail commence à porter ses fruits... Les remarques sur les évaluations de stages se modifient : de "très bon contact avec les patients" on passe à "vous écoutez les patients, vous leur accordez votre attention, vous savez les rassurer et leur apporter les explications dont ils ont besoin". Une bonne chose de gagnée ! Et ça, bon sang, qu'est ce que ça fait plaisir !
Mais avec cette patiente-là j'ai eu du mal à mette en pratique le
"prendre soin"... Ses antécédents faisaient peur, comme souvent les
antécédents psy : Anorexique, boulimique, dépressive. Pourtant tout le
monde ne voyait en elle qu'une opérée dans un service de chirurgie... Je
me demande bien pourquoi certaines préfèreront toujours un pansement
d'escarre à un pansement de coeur...
J'ai commencé par prendre connaissance du dossier. Dans sa courte vie de trois dizaines d'années à peine, elle avait vécu des incestes, un cancer, une reconstruction mammaire, et à présent, les complications de cette dernière. Normal qu'elle prenne une dose de tranquillisants qui personnellement m'aurait transformée en Belle au Bois Dormant pour bien plus que cent ans !
Mes questions (j'avais mis la mèche blonde du bon côté) ont fini par susciter des interrogations auprès de mes collègues. Elles ont aussi commencé à prendre du temps pour parler avec elle, lui tendre des perches pour qu'elle puisse "poser ses valises". Et petit à petit, elle s'est livrée et nous avons pu lui apporter autre chose que juste ses petites pilules. Le maternage ne fait pas partie de la planification des soins mais elle y a eu droit. L'expression de son anxiété et de sa régression, elle y a eu droit. L'image positive et un semblant de modèle, elle y a eu droit. La fermeté et le cadre qui rassurent, nous les lui avons également donnés. Le sourire, elle nous l'a rendu. Avec une rose pour chacune d'entre nous ce matin là.
Une manière d' "acheter" ? de nous remercier ? ou tout simplement un geste emprunt de gentillesse...
Elle est rentrée aujourd'hui, le médecin l'a laissée repartir chez elle. Certaines étaient soulagées, moi j'avais envie de tirer sur la manche du médecin, comme une gamine : "hé docteur, vous vous êtes occupé des cicatrices de son corps, mais qu'en est-il de celles de son coeur ?" Passer le relais à une assistante sociale et une psychologue aurait été possible. Mais, malgré leur bonne volonté, cela aurait pris plus de temps que n'a duré l'hospitalisation.
L'inertie ronge autant que les escarres...
Seul bémol : elle était jaune la rose.... :(